Comprendre les sols pour les respecter

Nous avions évoqué avec bonheur dans le numéro 2 de la "feuille du chou", grâce à Sylvain Minot, l'amélioration d'un sol difficile [1].

Le sol peut être considéré comme un patrimoine de l'humanité ; encore faut-il apprécier son histoire, ses évolutions pour bien le défendre.

Le sol est constitué de gaz, d’eau et de particules solides imbriquées de tailles variables. Il découle des matériaux géologiques issus de l'altération climatique des roches, transformées par l'eau et les gaz atmosphériques, les éléments végétaux et microbiens. La diversité des processus impliqué dans leur longue élaboration explique pourquoi le sol est si divers à la surface des continents.

Pour un site donné les caractéristiques du sol varient de la surface vers la profondeur. Le sol comporte des couches appelées horizons, qui se différencient par la couleur, la texture [2] .

Apparition d'un sol et son évolution sous l'effet des éléments climatiques

 

 

 

 

 

 

 

 

Apparition d'un sol et son évolution sous l'effet des éléments climatiques

 

Chaque horizon est caractérisé par des processus dominants :

  • Roche mère : Altération, Désagrégation
  • Horizon O : Litière, Accumulation de débris végétaux
  • Horizon C : Décarbonatation, Altération
  • Horizon A : Humification, Minéralisation, Appauvrissement
  • Horizon B : Structuration, Accumulation

Ses caractéristiques varient aussi dans le temps, sous l'impact des variations microclimatiques et de l'évolution due à l'altération des constituants, aux processus de lessivage et aux changements de la biosphère.

Le sol est ainsi un milieu naturel en constante évolution, dont la formation s’étale sur des durées de quelques siècles à plusieurs millénaires.


Il est donc précieux car dégradable en quelques années, notamment à cause des activités humaines, par une exploitation agricole intensive ou une mauvaise gestion (érosion), ou encore par des pollutions ou par l’artificialisation et l’urbanisation.

 

Le sol, un milieu vivant

Sa structure en agrégats emboités, ainsi que les macrostructures et la macroporosité font du sol une mosaïque d’habitats hétérogènes qui rend possible la cohabitation sous forme d’un réseau qui définit la capacité du sol à fournir à la plante les éléments nutritifs dont elle a besoin pour exprimer son potentiel de croissance, via de très nombreux et très divers organismes.

 

Argile et matière organique agissent comme des liants et favorisent une structure aérée

Ces nombreux organismes présentent des tailles très diverses allant de quelques nanomètres ou micromètres, les virus, bactéries et archées (les plus nombreux : 1 à 10 milliards de cellules par gramme de sol ; plus de 2 millions d'espèces de bactéries, archées et champignons) à quelques cm ou dm, les vers ou lombrics (les plus grands) en passant par les champignons (la plus grande biomasse) dont les mycéliums peuvent s’étaler sur plusieurs dizaines à centaines de mètres. Cette spécificité encore très mal comprise, fait du sol un réservoir unique de biodiversité microbienne, animale et végétale. 1% seulement sont connus, ce qui montre l’immense potentiel du sol en termes de ressources biologiques, biochimiques, biotechnologiques [3] .

Tous les acteurs de cette biodiversité sont indispensables au fonctionnement global du sol en lien avec tous les services écosystémiques qu’il rend. C’est notamment le cas pour les cycles du carbone et de l’azote, la dégradation des polluants ou le recyclage des matières organiques [4] .

La plupart de ces espèces se retrouvent dans les premiers 20 cm du sol où les concentrations en matières organiques et en racines sont les plus élevées. Leur abondance diminue ensuite avec la profondeur organique et les éléments assimilables, la dynamique des populations microbiennes...
Le sol est ainsi un compartiment physique complexe qui comprend de nombreux espaces, eux aussi de tailles variables (micro à macroporosité) et où de nombreuses formes de ressources nutritives et donc de métabolismes (aérobie ou anaérobie) peuvent coexister à seulement quelques mm de distance.

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On estime que les taux d’érosion actuels sont de 100 à 1 000 fois supérieurs au rythme naturel de formation des sols.

L’hétérogénéité spatiale de cet habitat (répartition du carbone de l’O2 , N2 , CO2 …) entraîne naturellement une répartition des communautés de champignons , de bactéries  ou d’animaux [5].

Le complexe argilo-humique permet, par le jeu des liaisons chimiques et les tensions superficielles électriques entre micro-agrégats, les échanges d'atomes entre les agrégats et le sol et la rétention intersticielle de l'eau.

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Réciproquement, la biodiversité a une action sur les propriétés physicochimiques du sol, en particulier les matières organiques présentes qui contrôlent les interactions responsables de l’agrégation du sol et donc sa capacité à retenir et à laisser circuler l’eau. Deux sols soumis à des pratiques différentes, telles qu’une monoculture ou une prairie auront des évolutions écologiques et physico-chimiques très différentes car elles hébergeront des biodiversités distinctes.

C’est donc la stabilité physicochimique du sol qui permet le maintien de sa biodiversité sur le long terme. Cette stabilité peut être remise en question par l’altération physique ou chimique du sol.

 

Le sol, un milieu rapidement altérable

L’altération des sols est causée, entre autres, par des pratiques agricoles non durables, par des pollutions généralisées ou par l’expansion urbaine, (40% de la population mondiale est touchée et cela pourrait contraindre 50 à 700 millions de personnes à l’exode).

Les sols sont aujourd’hui dans  un état critique car nous avons transformé une grande partie de nos forêts, de nos prairies et nous avons perdu 87% de nos zones humides.
 
L'espèce humaine utilise en effet les fonctions écologiques du sol de manière souvent irraisonnée ou excessive, ce qui le modifie en quelques années : diminution de la quantité et la diversité des formes de vie qu'il abrite et de sa fertilité (stocks d’azote et de carbone, aussi liés au climat).

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L’altération du sol a donc pour conséquence principale la limitation croissante des services écosystémiques qu’il rend et qui sont chiffrés chaque année à plusieurs milliers de milliards de dollars à l’échelle planétaire : régulations de la qualité de l’air, du climat global et local, des aléas naturels (inondations et érosions), décomposition des déchets et des pollutions, stockage et purification de l’eau, productions animales et végétales alimentaires ou ornementales, habitat pour la biodiversité, support de routes, stockage de déchets… Au-delà de l’aspect humain et de la biodiversité, l’altération du sol est donc aussi un problème économique mondial majeur. En France, par exemple, l’artificialisation des sols augmente d’environ 15% par an, alors que la population n'augmente que de 5% par an.

Mieux comprendre le fonctionnement biophysicochimique du sol est donc une nécessité pour le futur, pour mieux le protéger au travers de mesures de préservation : agriculture respectueuse, chimie verte, etc. (D'après Martins. Le sol, une ressource essentielle et si fragile. 2019. .hal-02414321) [6]

 

Pourquoi se soucier de nos sols  ?

Il faut 200 à plusieurs milliers d’années pour former 1 centimètre de sol.

Les sols fertiles sont rares sur Terre (15 %).

Plus de 25  % des espèces animales et végétales y vivent.

60 % des sols mondiaux sont dégradés à des degrés divers, pour certains de manière irrémédiable.car nos activités les impactent durablement  (la surexploitation par le tassement, l’excavation, l'imperméabilisation par les routes, les parkings, les constructions, la pollution par les pesticides, les produits chimiques, les plastiques, l’érosion liée à la déforestation, aux surfaces nues)… Plus de 7  080  sites sont pollués en France. ; 11 hectares par heure disparaissent en Europe à cause de l’expansion urbaine, la France en tête.

L'exemple de la Grèce


La dégradation suit la destruction du couvert végétal, phénomène cité par Platon (400 ans av. J.-C). 


« Notre terre est demeurée, par rapport à celle d’avant, comme le squelette d’un corps décharné par la maladie. Les parties molles et grasses de la terre ont coulé tout autour, et il ne reste plus que la carcasse nue de la région »


En effet, les fouilles et expertises des pollens renseignent sur la succession des utilisations des sols : forêts de chênes, défrichement,  labours, pâturage intensif. Les sédiments issus des labours et de la déforestation ont comblé la mer Egée sur cinq kilomètres en aval du port d'Ephèse. Ne restent que des sols squelettiques.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Comment les préserver  ?

Composter, pailler et bannir les engrais chimiques et les pesticides dans son jardin.

Privilégier les techniques agricoles et sylvicoles qui apportent de la matière organique dans le sol et favorisent la biodiversité.

 Désimperméabiliser les sols et végétaliser la ville pour limiter les risques d’inondation et rendre la vie plus agréable aux habitants.

Préserver les espaces naturels et agricoles dans l’aménagement du territoire.

René MONTAGNON            Télécharger la feuille de chou n°5 en pdf


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